Un budget de gauche ne peut pas faire l’impasse sur l’urgence sociale.

Publié le par Hervé Bramy

Mon intervention lors de la séance du Conseil général, le 8 avril, sur le budget :

 

Je veux introduire mon intervention de ce jour par une réflexion sur la vie quotidienne des femmes et des hommes qui vivent en Seine-Saint-Denis car au-delà  des considérations financières évoquées, le budget se concrétise en politiques publiques et activités qui leur sont destinées.

 

Or, sans réelle prise en compte, de leur réalité de vie dans toutes ses composantes et ses complexités, nous risquons de nous enfermer dans un débat financier certes déterminant mais qui peut passer à côté de leurs attentes, de leurs aspirations, de leurs espoirs.

 

La crise financière, économique, sociale, écologique et démocratique que nous connaissons est celle du système capitaliste, de la conception de ses outils financiers comme le FMI et la BCE, crise que le système a lui-même produit et que le gouvernement s’avère incapable de résoudre malgré les intentions du président de la République de vouloir le refonder. J’observe d’ailleurs que 360 milliards ont été mobilisés pour sauver un système bancaire pervers, alors que notre département – lui-même victime de l’appétit de ces banques – a été laissé sur le côté.

Depuis 2007, le tourbillon insaisissable des contre-réformes – car parler de réforme revient à dévoyer leurs sens - ne produit aucune amélioration de vie au plus grand nombre, bien au contraire !

 

Qu’un ancien ministre du gouvernement de Jacques Chirac, aujourd’hui Médiateur de la République, Jean Paul Delavoye, déclare : « La loi n’apparaît plus comme le bouclier du plus faible contre le plus fort mais comme une nouvelle arme pour asseoir sa domination contre le plus faible », en constitue un  formidable aveu !

 

Ainsi nos concitoyennes et nos concitoyens ont peur du présent comme de l’avenir pour eux même et leurs enfants : licenciements boursiers et fermeture d’entreprise comme à Sanofi Aventis à Romainville, chômage, précarités multiples, la pauvreté touche plus de 8 millions de personnes, restrictions drastiques des dépenses publiques et donc des services rendus, réduction du périmètre des services publics pour servir le marché à coup de libéralisation et de privatisations, inégalités grandissantes des revenus.

Bouclier fiscal pour les plus riches, bonus aux traders et diminution du pouvoir d’achat pour tous les autres, remise en cause des acquis sociaux efficaces économiquement et qui ont permis de rebâtir, au sortir de la seconde guerre mondiale, notre République en ruine – je pense par exemple la sécurité sociale mise en place par le ministre communiste d’alors, Ambroise Croizat.ou bien encore au droit à la retraite à 60 ans C’est aussi le refus d’écouter les salariés et le développement de méthodes managériales qui conduisent au désespoir quand cela n’est pas au suicide, dans le privé et dans le public, inégalités sociales et territoriales persistantes, injustices dues aux ségrégations et discriminations comme celles dénoncées auprès de la Halde…

 

J’arrête là le tableau, pour beaucoup structuré par les orientations des Traités européens rejetés par nos concitoyens mais malheureusement soutenus par la quasi-totalité des formations politiques, y compris à gauche sauf la mienne. Ce tableau est noir, trop noir me direz vous et pourtant c’est bien la réalité de centaines de milliers de nos concitoyens. A l’évidence, l’entrée dans ce 21ème siècle, malgré les promesses et les bonnes intentions, est bien difficile et ressemble, malgré tout le génie humain, à un formidable retour vers le passé !

 

D’ailleurs la structuration d’une abstention d’ampleur à causes multiples – y compris concernant l’élection d’élus de collectivités territoriales pourtant reconnues dans leur utilité - en est un signe patent qui nous interroge tous, mais nous n’avons pas tous les mêmes responsabilités face à cette situation.

 

Chacune et chacun d’entre nous est face à ses choix : perpétuer le système ou le transformer ! Nous sommes ici tous légitimes pour apporter notre point de vue à ce débat et prendre nos décisions en conséquence dans le cadre de ce budget. Pour ce qui me concerne c’est, vous le savez, la seconde option qui emporte ma conviction. Je considère que si le budget de notre Collectivité ne peut, en aucune manière, surmonter ces crises par contre le sens de l’orientation de nos actes de gestions et les priorités décidées ont une signification précises que nos concitoyens sont en droit de percevoir.

 

Un budget de gauche dans ce contexte ne peut et ne doit faire l’impasse sur l’urgence sociale.

 

Bien entendu nous nous devons d’assumer au travers des compétences obligatoires dévolues par la loi notre mission de solidarité auprès des personnes les plus en difficultés, des personnes âgées et de celles qui souffrent de handicap. Ceci ne souffre d’aucun doute. Dans le même temps, Monsieur le Président et chers collègues, nos choix et nos priorités dans le domaine de nos politiques volontaires doivent être confortés, renforcés afin de laisser ouverte la fenêtre de l’espoir. Je pense notamment et pour l’exemple à la poursuite de notre politique pour le droit à la mobilité des jeunes par la prise en charge de 50% de la carte Imagin’R et à notre action pour réduire la fracture numérique par l’aide à l’achat d’un ordinateur pour les élèves de 6ème. Ces familles seront pour une large part doublement sanctionnées par l’augmentation de l’impôt que vous nous proposez et par la fin de deux aides largement appréciées pour leur contribution à la défense du pouvoir d’achat des familles modestes.

 

Il est également des domaines déterminants pour la vie des êtres humains : ceux de la culture et de l’éducation populaire. N’écornons pas plus, en cédant aux choix faciles, l’image déformée de notre département ! N’ajoutons pas de la destruction sociale sur des territoires dont il est de bon ton de parler avec condescendance et compassion gratuite ! En matière de culture et d’éducation populaire, la Seine-Saint-Denis était et demeure remarquée pour sa capacité d’innovation singulière et d’attractivité. Les actions patiemment construites dans ces domaines à l’image du Salon du livre, de Zébrock au bahut, de Banlieues Bleues, de nos théâtres et scènes conventionnées, de nos associations d’éducation populaire, des clubs sportifs, structurent en profondeur la société départementale …. Les salariés et bénévoles de ces structures, grandes ou petites, les enseignants et communautés éducatives qui travaillent avec ces structures, œuvrent au quotidien pour la création artistique, pour favoriser la rencontre la plus large possible avec les œuvres de l’esprit et son corollaire leur vision du monde, de ce monde à transformer.

 

C’est aussi l’image de la Seine-Saint-Denis qui souffre quand des menaces pèsent sur ces fleurons, à l’image du Salon du livre, de Zebrock, de Livre au Trésor et d’autres encore. Ce n’est pas un hasard si les pétitions que leurs conseil d’administration ont décidé de rendre publique rencontrent un écho exceptionnel bien au-delà du département.

 

Il est de notre responsabilité de poursuivre cette ambitieuse politique car la crise appelle justement à se confronter aux œuvres de l’esprit pour en sortir par la démocratie. Une démocratie éclairée qui contribue à l’émergence d’une citoyenneté active et consciente des enjeux et des possibles. A ce propos, Martine Aubry indique, je la cite : «  Il ya un besoin chez les gens de comprendre, de se saisir des débats publics. Les français ont envie de croire qu’une autre société est possible et ils ont envie d’y contribuer. Quand on voit qu’en période de crise, jamais les gens n’ont autant lu, ne sont autant allés au théâtre, ça prouve un formidable besoin de comprendre d’où l’on vient et où l’on va » Fin de citation. Monsieur le Président je vous le demande, il ne faut pas affaiblir notre intervention dans ce domaine, il est déterminant de mettre vos actes en adéquation avec votre appel. Certes l’Etat dans ce domaine ne montre pas le bon chemin et sa politique est désastreuse tant sur le fond que sur les moyens. La mise au rebut de la « Princesse de Clèves » par le Président de la république a tout de l’anti-intellectualisme et j’espère que cela n’est la marque de fabrique de notre droite départementale.

 

Mais avouons-le, quand les créations culturelles sont en régression, le pire est à l’ordre du jour. La gauche ne peut donc pas se permettre de position en demi teinte en matière culturelle afin de ne pas accentuer l’inquiétude réelle des acteurs culturels et des amoureux de la culture dans notre département. C’est pourquoi en signant votre appel j’ai assorti ma signature d’une exigence revendiquée par le collectif 93 : celui d’un moratoire sur la baisse des subventions du conseil général. J’ai bien entendu vos propos sur l’avenir du Salon du Livre et je m’en réjouis avec tous ceux qui se sont mobilisés pour obtenir cet engagement de votre part. Mais cette décision doit être élargie à toutes les structures oeuvrant au développement de la lecture publique de ce département et je pense à nouveau à Chroma et à Livre au Trésor.

 

Aujourd’hui les enjeux de société, le poids de la crise mérite de voir plus loin et donc de souscrire également à leur revendication de ce jour qui nous amènerait à déclarer la culture compétence obligatoire par notre assemblée. Je soutiens de toutes mes forces cette exigence car pour la gauche la culture ne peut être la cerise sur le gâteau. Il faut en parallèle gagner les financements pérennes, au travers d’une fiscalité juste et efficace, pour mettre en vie ces exigences. Le projet de réforme des collectivités territoriales qui remet en cause la souveraineté de nos assemblées fait peser les plus graves menaces sur l’égalité républicaine.

 

Je suis persuadé que nous ne pouvons emprunter que ce seul chemin car la mobilisation est au rendez vous. Pas seulement celle des seuls acteurs culturels mais celle de dizaine de milliers de citoyens qui par leur rassemblement constitue une force, comme le montre la multiplication des mouvements sociaux, celui par exemple de la SNCF celui du 23 mars et de ses 800.000 manifestants ou encore l’appel de ces 400 personnalités pour le maintien du droit à la retraite à 60 ans

 

Ces mobilisations sont déjà au rendez-vous et ont déjà permis au Salon du livre, finalement, de poursuivre son aventure faite de découverte, d’émotions et de plaisirs. Nous avons besoin d’un budget de révolte, mais d’une révolte enrichie de la mobilisation des forces vives de notre département.

 

Les conséquences financières de la seconde phase de décentralisation nous sont bien connues. Dès 2005 et les années qui ont suivies nous n’avons eu de cesse d’informer, d’alerter, d’associer les citoyens et les forces vives de notre département afin d’initier des mobilisations originales et de grande ampleur. Comme à chaque fois la Seine-Saint-Denis a précédé le mouvement que nous connaissons aujourd’hui à l’échelle du pays. En 2005 nous étions bien seuls et souvent incompris. Il fallait aussi convaincre ceux qui à gauche revendiquaient plus de transferts de compétences encore, sans mesurer que ceux-ci s’inscrivaient en fait dans une politique nationale et européenne de réduction drastique des dépenses publiques.

 

Aujourd’hui même des départements de droite considèrent que l’évolution de la situation de nos Collectivités Territoriales nous mènent droit dans le mur. Pour la Seine Saint Denis la situation est devenue intenable. C’est pourquoi Monsieur le Président je suis satisfait que vous ayez repris la proposition du groupe communiste et citoyen pour une alternative à gauche, de présenter un budget insincère portant la revendication auprès de l’Etat d’une véritable égalité républicaine. Mais ce n’est qu’une étape ! Nous allons devoir amplifier le rassemblement pour une fiscalité juste et surtout efficace – une fiscalité dédiée à la création de richesses utiles et au développement de l’emploi, une fiscalité qui puisse mobiliser les 327 milliards d’euros de dépôts dans les banques de notre région, une fiscalité qui permette le développement des services publics et pas celui de la spéculation financière.

En bref, nous avons besoin d’œuvrer, y compris dans cette assemblée, à la construction d’une alternative de gauche pour notre pays.

Je vous remercie de votre attention.

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